Les problèmes financiers (endettement et surendettement) représentent la première cause de demande d’aide de la part de joueurs excessifs. Les pertes d’argent sont caractérisées par des dettes, factures non payées, crédits multiples. La dette moyenne des joueurs en traitement s’élève à 257’000 CHF, la médiane est à 40’000 CHF. 17% des joueurs excessifs se sont mis en faillite personnelle.
L’institut de recherche économique de l’Université de Neuchâtel estime que le jeu excessif coûte chaque année entre 551 et 648 millions de francs suisses à la collectivité, sous forme de dépenses de santé additionnelles, de production non réalisée et de perte de qualité de vie liée à la santé. Le coût social par joueur pathologique et par année est compris entre 15’000 et 17’000 francs[1].
[1] Jeanrenaud et al., « Le coût social du jeu excessif en Suisse. », Université de Neuchâtel, 2012.
Conflits conjugaux et familiaux, mensonges, violence verbale/physique, séparation ou divorce sont des situations inhérentes au jeu excessif. Près d’un quart des joueurs qui consultent sont divorcés ou séparés. Pour près de la moitié des joueurs excessifs divorcés, le jeu est en partie à l’origine de la séparation ou du divorce. L’isolement est une conséquence fréquente du jeu excessif, notamment due aux emprunts auprès d’amis et de proches. On estime que pour une personne dépendante au jeu, ce sont 6 proches de son entourage qui sont impactés[1].
[1] Goodwin B. et al. « A typical problem gambler affects six others ». Journal of Gambling Issues, 17(2). 2017 : 276-289. https://doi.org/10.1080/14459795.2017.1331252.
Isolement social et coupures avec ses proches. Le jeu excessif amène à un renfermement sur soi et une solitude avec la perte de contact de ses ami·e·s et ses proches.
Dépression – stress – honte – culpabilité – désespoir – idées suicidaires avec ou sans passage à l’acte. Plus du tiers des demandes d’aide liées au jeu excessif sont associées à des idées suicidaires lors de la première consultation. Les données de l’enquête menée auprès des centres de consultation montrent une proportion – très élevée – de 21% de personnes présentant des tendances suicidaires. D’autres problèmes tels que les troubles alimentaires, la dépendance au travail, les troubles du sommeil ou le recours excessif aux services de prostituées sont également mentionnés.
Près des trois quarts des joueurs qui consultent ont une autre consommation problématique addictive : tabac : 60%, alcool : 40%, stupéfiants : 4%. Chez les jeunes, on note une association statistiquement significative entre le fait d’être un joueur à risque / problématique et l’usage problématique d’Internet, ainsi que la consommation de tabac, alcool, cannabis et autres drogues illégales.
Retard – absentéisme – irritabilité – manque de concentration – licenciement. 18% des joueurs qui consultent sont au chômage, cette proportion est beaucoup plus élevée que dans l’ensemble de la population (3%).
Activités illégales : vols – détournements d’argent – suites pénales ou civiles. 15% des joueurs qui consultent font l’objet d’une procédure pénale pour abus de confiance, détournement de fonds, escroquerie ou vol d’argent avec effraction.
La définition de l’OMS, la Classification internationale des maladies (CIM-11) ainsi que la définition de l’American Psychiatric Association (APA), le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-5) constituent aujourd’hui les systèmes de classification les plus classiques pour le diagnostic de dépendance au jeu.
(Source : American Psychiatric Association (2015)5)
Pratique inadaptée, persistante et répétée du jeu d’argent conduisant à une altération du fonctionnement ou une souffrance, cliniquement significative, comme en témoigne, chez le sujet, la présence d’au moins quatre des manifestations suivantes au cours d’une période de 12 mois :
Caractéristique diagnostique : Le jeu d’argent pathologique implique le fait de risquer quelque chose de valeur dans l’espoir d’obtenir quelque chose de plus grande valeur. Dans de nombreuses cultures, les individus parient sur les jeux ou les évènements, et la plupart le font sans rencontrer de problèmes. Cependant, certains sujets manifestent des difficultés substantielles en rapport avec leurs conduites de jeu d’argent pathologique. La caractéristique essentielle du jeu d’argent pathologique est un comportement de jeu pathologique persistant et récurrent qui perturbe les activités personnelles, familiales et/ou professionnelles. Le jeu d’argent pathologique est défini comme un ensemble d’au moins quatre symptômes survenant n’importe quand sur une même période de 12 mois.
Les jeux d’argent et de hasard ont été régulés en Suisse pour la première fois en 1874, (modification art. 35 de la Constitution). Les loteries et paris ne subissent aucun changement, mais les maisons de jeu sont interdites. En 1920, l’interdiction des maisons de jeu est renforcée et de nouveau assouplie (1928) pour promouvoir le tourisme (les Kursaals avec jeu de boules sont autorisés). En 1923, la Suisse se dote de sa première loi sur les loteries et les paris (LLP), loi qui n’autorise plus que les loteries à but d’utilité publique et qui consacre ainsi les monopoles régionaux de Swisslos et de la Loterie Romande.
Dans les années 1990, la Confédération se trouvant en difficulté financière, le Conseil fédéral propose de remplacer l’art. 35 Cst par le nouvel article 106 qui réintroduit les maisons de jeux en Suisse, celles-ci étant perçues comme une manne financière importante. Cette modification est acceptée par la population et les cantons en 1993, la loi sur les maisons de jeux (LMJ) est ainsi adoptée le 8 décembre 1998 et entre en vigueur le 1er avril 2000. Vingt-et-une concessions de casinos ont depuis été attribuées par la Commission fédérale des maisons de jeu (CFMJ), l’autorité de surveillance. En 2001, la Confédération souhaite réviser la LLP, pour l’adapter aux valeurs actuelles de la société, comprenant entre autres le développement de moyens pour lutter contre la dépendance au jeu. Les 26 cantons préfèrent s’organiser entre eux et adoptent une convention intercantonale en janvier 2005 (CILP), qui verra l’instauration d’une taxe pour la prévention de la dépendance au jeu de 0,5% sur le produit brut des jeux de loteries
et paris en Suisse (Art.18); un organe de surveillance est instauré: la Commission des loteries et paris (COMLOT). Dès lors la régulation du marché est bicéphale, avec deux organes de surveillance qui régulent les jeux d’argent en Suisse : la CMFJ au niveau fédéral pour les maisons de jeux et la COMLOT au niveau intercantonal pour les loteries et les paris. Cette situation provoque une certaine concurrence entre ces deux niveaux de gouvernance.
Le 10 septembre 2009, la Loterie Romande dépose une initiative populaire : « Pour des jeux d’argent au service du bien commun ». L’objectif de cette initiative est de définir les compétences de la Confédération et celles des cantons. Le Conseil fédéral propose un contre-projet amenant au retrait de l’initiative. Le 11 mars 2012 le peuple suisse plébiscite le contre-projet et son nouvel article constitutionnel (106 Cst) par 87% des voix, mais sans réel débat. Le projet de loi entre en consultation à partir d’avril 2014 et le Conseil fédéral adopte le projet de loi en octobre 2015. Les Chambres fédérales adoptent la loi le 29 septembre 2017, sans avoir pris en compte les revendications des milieux de la prévention. Un référendum est alors lancé par la droite libérale qui s’oppose au blocage des casinos étrangers, qui financent par ailleurs largement la campagne en faveur du non. La nouvelle loi sur les jeux d’argent est toutefois acceptée le 10 juin 2018 par 72,9% des votants. La LJAr est entrée en vigueur le 1er janvier 2019, et les lois cantonales d’application, ainsi que les concordats intercantonaux, devront être adoptés au cours de cette année 2020.
La loi fédérale actuelle reprend en grande partie les dispositions et le fonctionnement des deux lois qu’elle a remplacé, conservant ainsi ce régime d’autorisation et de surveillance bicéphale : au niveau fédéral, les casinos, au niveau intercantonal, les loteries. Cette loi introduit tout de même certaines nouveautés notables, dont voici quelques exemples qui concernent les milieux de la prévention :
La LJAr est complétée par une ordonnance sur les jeux d’argent (OJAr) ainsi qu’un concordat sur les jeux d’argent au niveau suisse (CJA) qui introduit le mécanisme de financement des actions de prévention et de traitement des cantons exigées par l’art. 85 LJAr. Ainsi, selon l’art. 66 du CJA, les loteries sont tenues de verser 0,5% de leur produit brut des jeux aux cantons.